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REGIME JURIDIQUE ET FISCAL DU CONTRAT D’INTERIM AU SENEGAL

 

Afin de faire face à la problématique de l’emploi des jeunes et la rigidité de la législation du travail, la loi n°1997-17 du 1er décembre 1997 portant Code du travail a introduit, en son article L.226 une nouvelle forme d’emploi salarié, différente des formes classiques que sont notamment le contrat à durée déterminée (CDD) et le contrat à durée indéterminée (CDI). Il s’agit du contrat de travail temporaire ou contrat d’intérim dont les modalités d’application ont été précisées plus tard par le décret n°2009-01412 du 23/12/2009 fixant la protection particulière des travailleurs employés par des entreprises de travail temporaire et les obligations auxquelles sont assujetties ces entreprises

Par définition, l’intérim est le mécanisme par lequel une entreprise de travail temporaire recrute du personnel salarié et le met à la disposition d’une autre entreprise utilisatrice, pour l’exécution d’un travail précis. Cela a la particularité de créer une relation triangulaire entre les parties que sont :

  • L’agence d’intérim ou entreprise de travail temporaire (ETT) ;
  • le salarié intérimaire ;
  • et l’entreprise utilisatrice.

Si ces dernières années on constate au Sénégal une forte utilisation des travailleurs temporaires notamment par les grands groupes du secteur des télécommunications, cela se justifie par la volonté de ces entreprises d’engager une main d’œuvre temporaire, facilement remplaçable. Elles font également recours à ces travailleurs dans le cadre de projets spécifiques, afin d’éviter de recourir à des contrats de travail classiques.

Dans le cadre de cette note, nous nous proposons d’analyser le régime juridique et fiscal du contrat d’intérim au regard de la législation sénégalaise.

  1. Rapports des parties au contrat
    1. Agence d’intérim – Travailleur intérimaire

On entend par agence d’intérim ou entreprise de travail temporaire toute personne physique ou morale dont l’activité exclusive est d’embaucher des travailleurs temporaires qu’elle met à la disposition provisoire d’une autre entreprise dite utilisatrice.

L’exercice d’une telle activité est restrictif puisque l’article 1er du décret n°2009-01412 précise que « toute activité de travail temporaire s’exerçant en dehors d’une telle entreprise est interdite ».

L’agence d’intérim et le travailleur sont liés par un contrat de travail temporaire, lequel doit être obligatoirement constaté par écrit, sous peine de requalification. Limité à deux (2) ans au maximum, ce contrat doit contenir les mentions légales requises pour tout contrat de travail (identité des parties, situation familiale et domicile du salarié, nature, durée, date d’effet et lieu d’exécution du contrat…) et devra être visé par l’Inspection de travail du ressort. Il est à noter que la limitation de durée précitée ne s’applique pas lorsque le contrat est conclu pour la réalisation d’un ouvrage déterminé.

La loi interdit toutefois certaines clauses qui sont de nature à porter atteinte aux chances ultérieures du travailleur notamment celle tendant à interdire l’embauchage de ce dernier à la fin de son contrat par l’entreprise utilisatrice.

Ainsi, entre l’agence d’intérim et le travailleur il existe un rapport contractuel d’employeur à salarié. D’ailleurs, l’entreprise de travail temporaire est réputée employeur et investie des droits et obligations attachés à cette qualité (art. L.226 Code du travail). A ce titre, elle remplit toutes les obligations légales, règlementaires et conventionnelles découlant du contrat de travail (art. 5 décret n°2009-01412). Elle détient notamment un pouvoir de contrôle et de direction à l’égard du salarié (mais qu’elle n’exerce pas)  et assure sa rémunération ainsi que les charges fiscales et sociales y relatives. On peut par conséquent en déduire qu’en cas de fait dommageable du salarié en rapport avec son emploi, la responsabilité civile incombe à la société d’intérim en qualité de commettant (art. 146 COCC).

Nous estimons cependant que cela est discutable car en mettant le salarié à la disposition de l’utilisatrice, l’employeur transfère ses pouvoirs de direction à celle-ci, se privant ainsi de son autorité sur le salarié au profit de la société utilisatrice pendant la durée du travail.

Enfin, il convient de noter que le contrat de travail temporaire peut être rompu dans les mêmes conditions qu’un CDD (arrivée du terme, accord des parties, faute lourde ou cas de force majeure). En dehors de ces cas et sauf exclusion prévue par la loi, toute rupture non imputable au travailleur ouvre droit à l’indemnité de précarité égale à 7% des rémunérations totales brutes perçues par ce dernier depuis le début de son contrat, sauf si la société d’intérim lui propose un autre emploi au moins équivalent.

2. Société utilisatrice – Travailleur intérimaire

Bien que la société utilisatrice ne soit pas liée au travailleur temporaire par un lien contractuel, ce dernier est en réalité à son service et agit en son nom et pour son compte au quotidien.

En pratique, il revient à l’entreprise utilisatrice d’exercer le pouvoir d’organisation et de direction à l’égard du salarié. A cet effet, ce dernier est soumis aux mêmes conditions de travail que les travailleurs de l’entreprise. Cependant, il convient de se poser la question de savoir s’il peut bénéficier des mêmes droits ou avantages offerts par l’entreprise utilisatrice au même titre que les autres employés de celle-ci ?

A priori non, puisque c’est l’agence d’intérim qui en est, juridiquement, l’employeur. Ainsi par exemple, si la société utilisatrice offre à ses propres employés des primes exceptionnelles ou des avantages en nature, le travailleur temporaire de devrait pas espérer y avoir droit.

Par ailleurs, afin d’éviter le recours abusif à cette main d’œuvre temporaire, le législateur a prévu certaines limites. D’une part, une entreprise utilisatrice ne peut recourir aux services de travailleurs temporaires que pour assurer l’exécution de tâches précises et temporaires dénommées « missions », dont la durée de chacune ne peut excéder deux (2) ans.

D’autre part, il est formellement interdit de recouvrir à des travailleurs temporaires pour remplacer le personnel en grève licite d’une entreprise.

On constate par-là que l’esprit du législateur est de réguler le recours à ces travailleurs intérimaires, de les protéger et d’éviter que ce statut temporaire et précaire ne devienne définitif.

3. Agence d’intérim – Entreprise utilisatrice

L’entreprise utilisatrice est celle qui bénéficie de la main d’œuvre salariée. Elle est liée avec l’agence d’intérim par un contrat de mise à disposition de personnel dont la forme est régie par la loi.

Ce contrat doit obligatoirement être constaté par écrit et visé par l’Inspection du travail de ressort avant tout début d’exécution. Il doit en outre comporter les mentions ci-après :

  • Nom ou raison sociale et adresse des deux parties ;
  • Nombre, nature, classification professionnelle et rémunération des emplois concernés ;
  • Date, durée et lieu d’exécution du contrat de mise à disposition.

Ainsi entre l’agence d’intérim et l’entreprise utilisatrice, il existe un lien contractuel classique avec les droits et responsabilités y afférents. En contrepartie de son service, l’agence d’intérim perçoit une  rémunération égale aux charges salariales supportées elle (salaires et accessoires, cotisations sociales et charges fiscales) augmentée d’une commission, librement déterminée par les parties.

Les charges salariales supportées par la société d’intérim sont refacturées au réel à l’entreprise utilisatrice, en général les parties faisant même figurer sur la facture, d’une part, les débours correspondant au salaire proprement dit, les accessoires et les charges salariales et, d’autre part, la commission de service.

Il est à noter que l’obligation de payer le salarié incombe principalement à la société d’intérim mais pas exclusivement puisqu’en cas de défaillance de celle-ci, l’entreprise utilisatrice est tenue de lui substituer (art. décret n°2009-01412).

  1. Fiscalité applicable à l’emploi de travailleurs temporaires

L’opération d’intérim entraîne une fiscalisation à deux (2) niveaux : au niveau de la société d’intérim, d’une part, et sur les prestations facturées par celle-ci à la société utilisatrice, d’autre part.

  1. Fiscalité directe des charges salariales versées par la société d’intérim

En sa qualité d’employeur, la société d’intérim est tenue de s’acquitter des charges fiscales et sociales à savoir :

  • Opérer la retenue à la source de l’IR sur les salaires versés aux travailleurs temporaires ainsi que celle de la taxe représentative de l’impôt minimum forfaitaire (TRIMF) ;
  • Supporter la contribution forfaitaire à la charge de l’employeur (CFCE) ;
  • Liquider les cotisations sociales (IPRES, CSS) ;
  • Procéder à la déclaration et au reversement des différents impôts, taxes et cotisations sociales auprès des organismes fiscaux et sociaux compétents.
  • Fiscalité des prestations facturées par la société d’intérim à la société utilisatrice

A titre de rappel, en contrepartie de ses services, la société d’intérim facture à la société utilisatrice des prestations comprenant, d’une part, le salaire proprement dit, les avantages connexes et les charges salariales et, d’autre part, sa commission.

Ainsi on pourrait valablement penser que seule cette commission, constituant la valeur ajoutée, serait soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), sachant que l’activité salariée est exclue du champ d’application de cette taxe (art. 352 CGI). En réalité, il en est autrement… en tout cas de l’avis de l’Administration fiscale sénégalaise.

D’abord, dans une lettre adressée à une société d’intérim (n°17/DGID/LEG2 du 04/01/2002), l’Administration fiscale a précisé que la totalité des rémunérations perçues par la société d’intérim est imposable à la TVA car la base d’imposition de cette taxe comprend par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire de services en contrepartie de l’opération réalisée.

Elle a ensuite confirmé sa position dans une seconde lettre (n°313/DGID/BLC/LEG2 du 03/10/2007) au motif que la société d’intérim exerce ses activités de manière indépendante et sous sa propre responsabilité. Que dès lors, jouissant d’une liberté totale dans l’organisation et l’exécution de ses travaux, les salaires de ses employés ne constituent nullement des débours, mais plutôt de « simples charges d’exploitation » directement répercutées à la société utilisatrice. Il en résulte que la TVA doit être appliquée sur l’intégralité des sommes perçues par la société d’intérim, nonobstant que celle-ci fasse figurer sur la facture, d’une part, les débours et, d’autre part, sa commission.

Cette doctrine fiscale, désormais constante, a encore été confirmée par l’Administration fiscale (n°196/DGID/DLEC/LEG2 du 22/06/2009) qui rappelle une fois de plus que « les refacturations de frais de personnel au réel dans le cadre de la mise à disposition de ce personnel par la société d’intérim constituent, non pas des débours, mais des prestations de services effectuées à prix coûtant imposables en totalité à la TVA et ce, quelle que soit la dénomination utilisée pour qualifier lesdites prestations : « débours opaques », « débours transparents », « remboursements de débours », etc. »

Cette persistante décision de l’Administration fiscale de taxer l’intégralité des sommes perçues par la société d’intérim de ses clients a pour conséquence de soumettre, indirectement, à la TVA, l’activité salariée au sens du Code du travail. De même, ce régime fiscal ainsi établi augmente sans conteste le coût de cette main d’œuvre pour les entreprises utilisatrices.

En définitive, on notera la volonté profonde du législateur sénégalais qui, en instituant le contrat d’intérim, a voulu offrir aux employeurs un mécanisme d’emploi temporaire et flexible. Cependant, le régime fiscal appliqué par l’Administration est de nature à augmenter le coût de cette main d’œuvre.

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